LE GUERRIER LA MORT Pierre Grimbert

JE SENS la Mort qui glisse, frappe et récolte les âmes…

Je gis sur le dos. J’ai froid. Le ciel est sombre, et si bas qu’il semble à portée de flèche. Le soleil s’est retiré derrière un océan de cendres.

J’ai l’impression d’avoir un poids immense sur la poitrine, mais il n’en est rien. Mes mains ne cessent de s’en assurer. Rien d’autre qu’un empennage minuscule, qui répand un liquide poisseux sous mon épaulière.

Mon sang.

La Mort se rapproche. En tournant un peu la tête, je peux voir son ombre s’allonger sur les cadavres. Pourquoi ne l’arrête-t-on pas ? La bataille n’est pas achevée. Mes hommes poursuivent la lutte. La nouvelle de ma chute ne leur est pas encore parvenue. Comment peuvent-ils ne pas La voir ?

Je roule sur mon flanc et me retient de hurler. Je ne crierai pas. Je n’implorerai pas. La Mort n’aura pas mon hommage.

Je la vois qui glisse entre les mortels comme le brouillard sur un marais. La Mort a forme humaine. Elle porte mantelet de ténèbres et bottes de cavalier. Une pointe en argent précède le sol qui l’accueille. Son épée.

L’arme se dresse soudain et reflète une clarté glacée. La main qui la tient est gantée de nuit. Un blessé ferme les yeux et la lame s’abat. Une tête tombe.

La Mort ouvre les pans de son mantelet et recueille l’âme qui s’envole. Je sens que je devrais m’indigner, mais je n’y parviens pas. Je suis un guerrier. J’ai eu une longue vie. Je me demande seulement si toutes les âmes ont la même couleur. Si mon âme a la même couleur.

Celle que je contemple est vert-de-gris. Elle suinte d’un cou encore saignant pour se réfugier dans le manteau de la Mort. Elle s’y perd, elle s’y fond, elle se mêle aux fils tranchés qui le composent.

Puis la Mort range son épée et referme son habit.

Elle marche sur moi.

La colère me prend et je me dresse sur le coude. La douleur devrait m’anéantir, mais mon esprit refuse de l’entendre. Ma tête est lourde du poids de mon corps. Je ne sens plus rien.

La Mort s’approche et toute chaleur me quitte. Les silhouettes de la bataille s’estompent. Le ciel se fond avec la terre. Le Guerrier noir est venu prendre mon âme.

Je me mets à genoux et contemple son visage. Mais je ne le reconnais pas. Les ombres de son mantelet ne dessinent qu’un profil. La Mort n’est pas un adversaire comme les autres. Sa cause est obscure. Elle ne fait qu’accomplir sa tâche. Elle est le mercenaire du destin.

Je porte les mains à mon cœur et en extrais le carreau qui le perce. Mon sang jaillit de la blessure et je l’observe sans comprendre. Je devrais être mort. Mais peut-être le suis-je. Je ne sens plus rien.

La bataille s’est enfuie. Le monde a disparu. Je suis seul avec la Mort, sur une terre stérile battue par un vent froid. Mon sang a cessé de couler. Il m’en reste trop peu.

J’ai décidé qu’Elle n’aurait pas mon âme. Je me redresse en m’appuyant sur mon épée, La Mort s’arrête et m’observe un instant.

Je souffle comme un dragon, mais je suis debout. Chaque bouffée d’air me glace un peu plus. Mes yeux versent des larmes. Elle n’aura pas mon âme. Je ne me rendrai pas sans combattre.

En signe de défi, je lève ma lame et la pointe sur elle. La Mort ouvre son mantelet et dévoile son épée d’argent. Elle marche sur moi. Sombrer dans le désespoir serait une solution. Je repousse cette idée avec rage. J’ai toujours lutté. J’ai envie de le lui crier.

— Sois maudite !

La Mort entend mon vœu et daigne me répondre. La Mort a une voix d’homme. L’entendre me fait réaliser à quel point la mienne est faible et hésitante.

— Je le suis déjà, énonce-t-elle doucement. Qu’espères-tu faire de cette épée ?

— La planter dans ton crâne, réponds-je en luttant pour ne pas m’effondrer. C’est la fin de ton règne, catin !

— Tu es mort.

— Point tant que je serai debout !

— Tu es mort, te dis-je. Tu n’as plus de corps.

— Je suis pourtant bien là !

Je veux taper du pied pour le prouver, mais je ne ressens pas les coups de ma botte dans le sol. La peur me gagne. Je la chasse en m’abandonnant à la rage.

— Bats-toi, ou disparais ! Tu n’auras pas mon âme !

— Je t’apporte la Paix. Préfères-tu errer en mon domaine… à jamais ?

Je regarde la terre désolée qui nous entoure. Une éternité de solitude, de froid et d’ennui. Soudain je connais le doute. L’hésitation me transperce et je suis prêt à fléchir. Mais mon regard revient sur la Mort et je lis mon reflet dans son épée d’argent. Ma fureur ressuscite.

— Jamais je ne courberai la tête devant une lame ! Plutôt mille ans de soupirs, que de me soumettre !

— Prends garde à tes paroles, si tu ne mesures leur portée, prévient la Mort. T’estimes-tu donc si bon guerrier, pour espérer me vaincre ?

— Viens tâter de ma lame, démon !

La Mort me dévisage en silence. Elle lit dans mon esprit et finit par baisser sa garde. Je ne sais que penser. L’espoir m’envahit, sans me réchauffer.

— Je te crois, annonce-t-elle enfin. Tes adversaires furent nombreux, et leurs âmes ont nourri mon manteau. Peut-être même as-tu une chance contre moi.

— Tu refuses donc le combat ?

— Il aura bien lieu. Mais il est trop tôt.

— Et pourquoi cela ?

— Si tu l’emportais maintenant, ta situation serait la même. Tu resterais ici prisonnier. Je suis seul à pouvoir te libérer. Nous nous affronterons, sois-en certain. Mais seulement le moment venu.

J’ai le cœur ouvert en deux et la Mort me propose un duel. Je prie pour ma victoire en cherchant à deviner ses raisons. Du sang coule le long de mon bras et rend glissante la poignée de mon épée. Je vais tenter de leurrer la Mort.

— Considérons plutôt que nous sommes de force égale et oublions ce combat. Ramène-moi chez les vivants. Tu y gagnes au change. Il me reste beaucoup d’âmes à t’envoyer.

La Mort rit et mes espoirs s’effondrent. Sa proximité m’indispose. Je ne lui céderai jamais. Elle non plus. Nous sommes des êtres d’honneur. Nous avons nos règles.

— Ce n’est pas si simple. Pour revoir le monde, tu n’as d’autre choix que de me défaire. Mais tu devras d’abord vaincre chacun de mes Champions.

Je fronce les sourcils et attends en silence. Mais la Mort en a terminé. Elle veut une réponse.

— Combien de Champions as-tu ?

— Une infinité. Mais il te suffira d’en vaincre quelques-uns pour pouvoir m’affronter.

Je tente de réfléchir malgré la tempête qui fait rage sous mon crâne. Tout en moi se refuse à ce qu’Elle ait mon âme.

— Annonce ton premier Champion. Je ne crains rien ni personne.

La Mort me dévisage, immobile, inexpressive. Je voudrais connaître sa pensée. Je voudrais qu’elle ait peur, qu’elle redoute mon succès. Mais je suis seul à trembler sur mes jambes.

La Mort brandit son épée et tranche un pan de son manteau. L’habit de ténèbres se recompose aussitôt et la recouvre de nouveau. La Mort me tend l’étoffe et je la saisis d’une main hésitante.

— Mets-la sur tes épaules.

Je m’exécute avec méfiance et les fibres des âmes me réchauffent. Elles s’étirent, s’agrandissent et s’entremêlent pour tomber jusqu’à mes bottes. Je tends les bras et elles courent jusqu’à mes poignets. Des gants se dessinent autour de mes doigts et pansent mes blessures. Mon cœur s’est éteint et je me sens vivre.

— Le manteau te permettra de glisser le long du Temps et des distances, m’explique la Mort. Mes Champions ne peuvent attendre. Ils n’ont que quelques instants à te consacrer.

Je caresse l’étoffe et savoure sa bienveillante chaleur. Je crains maintenant qu’elle me soit retirée. L’habit de ténèbres ne peut m’être offert sans intérêts. Il s’agit d’un prêt, où je laisse mon âme en caution.

— Annonce-moi à ton premier Champion, à présent. Et prépare-toi à m’affronter ensuite.

La Mort rit de nouveau et je perds de mon assurance. Sa voix se fait murmure et le doute m’assaille encore.

— Patience, guerrier, patience…

Elle fait tomber son capuce sur son visage et me demande de l’imiter. Les ténèbres me recouvrent et le monde disparaît. Je n’ai jamais perdu un duel. Je ne me suis jamais soumis.

 

Cette pensée m’accompagne alors que je glisse le long du temps. J’ai soudain la sensation que cela s’achève et me découvre prestement. Ce monde paraît le même. Je me demande si nous avons bougé.

La terre comme le ciel sont toujours aussi gris. Un vent froid court d’un horizon à l’autre sans réussir à s’échapper. La Mort me regarde. Elle m’indique une direction.

Je tourne la tête et vois mon premier adversaire. C’est un géant. Il me dépasse de trois têtes et porte une hache de bataille. Il marche sur nous.

J’ouvre mon manteau et tire mon épée. Je suis invaincu. La Mort n’aura pas mon âme.

Le géant se met à courir et je me mets en position. Je l’observe et étudie ses mouvements. Il ne semble pas si redoutable. La Mort l’a pourtant choisi comme Champion. Traîtresses apparences. Cela m’inquiète plus encore. De quels pouvoirs dispose-t-il ?

Il se rue sur moi et abat vingt livres d’acier. Je fais deux pas de côté et sens la hache déchirer l’air et le sol. Il la relève en hurlant et frappe de taille. Je fais un bond en arrière et me fends avec souplesse. Jamais je n’ai été aussi fort.

Mon épée lui perce le flanc et il s’abrite derrière des moulinets. Sa blessure saigne peu, mais maintenant il a peur. Je me tourne vers la Mort immobile. J’ai une question à lui poser. Elle la connaît.

— Nous sommes en mon royaume. L’un de vous doit y laisser son âme.

Le géant respire bruyamment. Son visage est humide. Il gonfle le torse et se précipite pour un nouvel assaut. Mon épée se lance presque d’elle-même au fond de sa gorge. Je sens le choc dans mon poignet et en tire une joie féroce. J’ai retrouvé mon corps.

Le Champion s’écroule et bascule en arrière. Je regarde son âme couler de ses blessures et ramper jusqu’à la Mort. La couleur est la même. Toutes les âmes sont égales.

Elle referme son manteau et se tourne vers moi. Je voudrais l’avoir impressionnée. Mais la Mort en a vu d’autres.

— Tu as hésité. Tu te défies de moi.

— Ça me semblait trop facile.

— Tu réfléchis trop. Tu n’es pas encore prêt. Tu dois te mesurer à un autre de mes Champions.

Je cherche à contester, mais la Mort ne m’écoute pas. Elle rabat son capuce et disparaît. Je cherche en vain le corps du géant. Puis me plonge dans les ténèbres de mon manteau. Nous glissons le long du temps.

 

La Mort a le plus grand des royaumes. J’ouvre les yeux et c’est toujours le même paysage. Il me semble pourtant que nous sommes très loin. J’ignore seulement de quoi.

Mon deuxième adversaire est une femme. Son armure est hérissée de clous. Elle me menace de ses poignards à la façon des scorpions. L’un au-dessus de la tête, et l’autre à l’entrejambe.

Une guerrière rijin. Il n’en est plus depuis dix siècles. La Mort est puissante.

Je tire mon épée et m’avance vers elle. Elle est parfaitement immobile. Une statue. Je sais qu’elle se changera bientôt en furie.

Je n’ai jamais tué de femme. Jamais je n’y ai été obligé. Mais celle-ci est vouée à la Mort.

Je m’arrête à trois pas de distance et me mets en garde. Je suis un vétéran. J’ai étudié la technique rijin. Si je m’approche encore, elle me plaquera contre les clous de son armure et me lardera le dos de coups de poignards.

Je reste également immobile. Ce sera affaire de patience. Le premier mouvement signera la défaite. Le manteau me protège du froid. Le Temps y glisse sans y laisser sa trace. J’attends. J’attends. Quelques heures ? Combien de jours ?

La guerrière bouge enfin. Elle recule de quelques pas et tente de se réchauffer les membres. Elle est excessivement pâle. Elle n’a plus une goutte de sang. J’avance vers elle et elle se poignarde au cœur.

Elle s’écroule face contre terre, sans que j’aie eu à lutter. Je crains que la Mort ne reconnaisse pas ma victoire. Mais elle est déjà occupée à récupérer l’âme qui s’échappe. Un étrange regret m’envahit, et je m’efforce de l’ignorer. Je refuse de me soumettre. Je veux revoir le monde. Le reste est sans importance.

 

Mes combats se succèdent, sans que je ne connaisse la défaite. La force des Champions est très inégale. J’envoie certains à terre après une simple passe. Les autres tombent après huit ou dix assauts.

Mon treizième adversaire marque un changement. C’est le premier qui parvient à me blesser. J’ai peine à y croire. En apparence, ce n’est qu’un enfant…

Je saisis la flèche qu’il a plantée dans mon bras et l’arrache d’un coup sec. Je crains que mon âme s’enfuie par la blessure, mais elle est encore bien accrochée. Il en faut plus pour m’abattre.

Mon manteau se répare de lui-même et soulage mon bras. Je ne garde aucune trace de l’atteinte. L’enfant archer prend ses distances et me décoche un nouveau trait. Il porte lui-même une hampe dans le dos.

J’entends la flèche arriver et l’évite gracieusement. Je n’ai jamais été aussi rapide. Il n’est plus de vieillesse au royaume de la Mort.

Alors que je suis sur lui, le Champion manque de projectiles. Il ne m’a plus touché. Je tire mon épée et le vois s’asseoir et pleurer. Il ne doit pas avoir plus de douze ans. Le doute me torture.

La Mort le sent et elle me tente. Son murmure m’est insupportable.

— L’un de vous doit y laisser son âme. Choisis-tu la paix que je t’offre ?

— Jamais !

Ma lame se lève et s’abat sur un cou gracile. Une tête tombe et une âme s’échappe. Elle glisse le long de mes bottes, les contourne, et se réfugie dans le sein de mon ennemie.

Je regarde le corps du Champion et me cherche des raisons. Il était déjà mort. La hampe d’une flèche dépasse de son épaule. Il est même étrange qu’il ait réussi à tirer. Je me mets à hurler.

— Quand donc pourrais-je t’affronter ? N’ai-je point vaincu assez de tes damnés ?

— Patience, murmurent les ténèbres. Tu y es presque. Sache que cela me tarde également.

La Mort referme son manteau et, de nouveau, je vois mon reflet dans son épée d’argent. Je chasse mes sanglots et rabat mon capuce. Je refuse d’y voir mon sang.

 

Je vaincs brillamment dix autres de mes adversaires, puis dix autres, puis dix autres encore. La Mort ne me laisse pas de loisir pour penser. Je glisse le long du Temps en enchaînant les combats, soutenu par l’espoir d’en venir au dernier. Je hais la silhouette silencieuse qui m’observe sans trêve. Je hais ce monde gris et froid qui forme son royaume. Je hais ces Champions maladroits et ignorants, aux âmes si fragiles. Je me languis des vivants et ne rencontre que des ombres.

Je ne compte plus mes victoires. Je sens que cela va bientôt prendre fin. Je suis le jouet de la Mort, et elle finira par se lasser.

Je redoute maintenant de ne pouvoir lui résister.

Un nouveau paysage gris et froid. Mon adversaire m’attend, tranquillement allongé, et ne se redresse qu’à mon approche. Il a une profonde entaille au ventre et du sang coule le long de ses jambes. Je ne m’en étonne pas. Ces blessures n’ont jamais empêché les Champions de m’affronter.

— Ainsi, c’est mon tour… soupire-t-il en soulevant son glaive.

J’ouvre mon mantelet et tire mon épée. Elle brille d’un éclat froid et avide. Son acier est intime de la chair.

— C’est ainsi. Ce ne sera pas long, réponds-je.

— Je ne me laisserai pas faire, prévient mon adversaire, sans y croire lui-même. Je ne suis pas prêt à mourir.

— Moi non plus. En garde !

Je combats presque avec lassitude, tant je maîtrise mon art. Cette fois pourtant, le Champion se montre à la hauteur. Il déjoue mes assauts et assure sa défense. Il me blesse à la jambe et cause ma surprise.

Des larmes coulent de ses yeux, mais j’en ai vu d’autres. Mon mantelet me recouvre et ma blessure s’atténue. Je ferraille avec application et étudie sa technique. Elle est excellente.

Je songe soudain qu’il pourrait peut-être gagner. Je me prends même à l’espérer, l’espace d’un instant. Mais je revois la Mort et jure de ne pas la satisfaire. Je n’ai pas livré tous ces combats pour abandonner maintenant. Je ne me soumettrai jamais.

Mon adversaire s’épuise tandis que je m’échauffe. Il peine à respirer alors que s’accroît ma détermination. Il implore maintenant, me supplie de lui laisser une chance et je frappe sans hésiter.

Je lui entaille le poignet et il lâche son arme. Il tombe à genoux et ferme les yeux. J’ouvre largement mon manteau et lui tranche la tête.

Il gît sur le dos, sous un ciel sombre et bas. Son âme suinte par ses plaies et se rassemble en une brume chétive. Le serpent vert-de-gris s’étire… et prend ma direction.

Je suis muet de terreur. Je sens que je devrai m’indigner, et je voudrais en être capable encore. L’âme de mon adversaire grimpe le long de mes bottes et s’agrippe aux fibres de mon manteau. Elle s’y perd, elle s’y fond, me baigne d’une chaleur écœurante. Elle disparaît totalement et connaît enfin la paix.

Le ciel s’éclaircit et ma vision se trouble. J’imagine que je pleure, mais c’est le paysage qui change. Nous sommes dans une prairie et le corps de mon adversaire gît dans l’herbe. Il a une profonde entaille au ventre mais sa tête est intacte. Un gueux est agenouillé près de lui et le dépouille de ses bottes. Il ne nous voit pas. Je suis de retour chez les vivants.

Je comprends enfin comment la Mort m’a trompé.

— Catin ! Perfide ! Que m’as-tu fait ! Où sommes-nous !

— Tu es en ton royaume. N’est-ce point ce que tu voulais ? Tu ne t’es pas soumis. Tu conserveras ton âme, aussi longtemps que tu nourriras le manteau.

— Meurs !

Je me jette sur elle et elle tire son épée d’argent. Le moment est venu. Elle est également invaincue.

La rage me domine et je frappe de toutes mes forces. Elle est mon meilleur adversaire, mais je refuse qu’elle l’emporte. Elle se cantonne à la défense et je laisse libre cours à ma fureur. Enfin un coup la fait vaciller et je gronde d’une joie inhumaine.

Je frappe, frappe et frappe encore. Elle ne peut parer toutes mes attaques. Ma lame tranche le manteau des âmes et lui perce la chair. Elle perd l’équilibre, tombe et se protège maladroitement. Je frappe comme un damné et jouis de sa souffrance. Je suis en train de tuer la Mort.

Elle-même ne semble plus lutter. Son corps n’est plus qu’une masse inerte qui tressaute à chacun de mes coups. Je recule d’un pas et abat ma lame comme une hache. Encore. Encore. Encore.

Vient un moment où son manteau renonce à la sauver. Elle gît sur le dos et abandonne son épée d’argent. Elle ferme les yeux et je vois enfin son visage.

Elle sourit.

Je perds tout contrôle et la transperce de part en part. Son manteau se déchire et s’évapore sans un bruit. Son corps se noircit comme un papier brûlé, racorni autour de mon arme. Son épée perd tout éclat et rouille en quelques instants.

Quand je dégage la mienne, je la découvre polie et d’argent.

 

J’erre au fil du temps à la recherche de celui qui me vaincra.

Je suis la Mort qui glisse, frappe et récolte les âmes…